Nouveautés

Sur les traces d’un fantôme tacheté : le lynx ibérique

Novembre 2024. Encore deux mois de liberté devant moi. Pas de boulot avant janvier, pas d’obligations, juste du temps et mon van. Alors évidemment, une question se pose : et si je me trouvais une nouvelle mission photo ?

Alors je commence à réfléchir à des destinations. L’idée, c’est de bouger en hiver, mais pas pour me geler dans un affut à 0°C. Non, j’ai envie d’un peu de chaleur, de douceur… de Sud. Et puis très vite, une espèce me vient à l’idée : le lynx ibérique. Un félin fascinant, aussi beau que discret. Très discret. Trop discret, peut-être…

Mais je me trouve rapidement séduit par l’idée : je pourrais combiner le plaisir d’explorer l’Andalousie et son patrimoine riche avec la photo animalière… et peut-être (avec un peu de chance et un brin de persévérance) croiser le regard de cet animal si particulier.

L’objectif est ambitieux. Mais qui ne tente rien n’a… pas de photo.

Le Lynx Pardelle, une espèce miraculée

Un petit mot pour les curieux : le lynx ibérique (ou Lynx Pardelle, Lynx pardinus) est l’un des félins les plus menacés au monde. Il a frôlé l’extinction dans les années 2000, notamment à cause de la chute des populations de lapins, victimes de maladies comme la myxomatose. Or, les lapins sont la principale source de nourriture du lynx.

Heureusement, d’importants efforts de conservation ont été menés : reproduction en captivité, réintroduction dans le milieu naturel, programmes de repeuplement en lapins, création de corridors écologiques… Résultat : la population est passée de 52 individus matures en 2002 à 327 en 2014, concentrés dans les deux noyaux principaux que sont la région de Doñana et la Sierra de Andújar. Un incroyable résultat qui fait du programme de sauvegarde du lynx ibérique une grande réussite.

Une bonne nouvelle pour la biodiversité, et un petit espoir pour les photographes comme moi.

En haut : distribution du Lynx Ibérique en 2012 et 2016
En bas : Lièvre Ibérique, photo prise dans le Parc naturel de Doñana, Andalousie

Etablir un plan

Me voilà un peu plus avancé, il y a plus qu’à établir un plan. En décembre, les nuits peuvent être bien fraîches dans les déserts Andalous. Alors je choisis la sagesse (et mes orteils) : cap au sud-ouest de Séville, direction le parc naturel de Doñana.

Arrivé sur place, je passe d’abord par un centre de sauvegarde, où 2 lynx vivent en captivité. J’ai appris beaucoup de choses sur l’espèce et le programme de conservation pendant ma visite. Et puis, c’est toujours impressionnant de les observer d’aussi près, ils dégagent une telle puissance tranquille. Mais soyons honnête : ce n’est pas ce que j’étais venu chercher. Pas un lynx derrière une vitre, mais un lynx dans la lumière dorée d’un sentier sablonneux, libre, sauvage. Bref, tout une ambiance.

Alors je me mets à explorer la région. Et très vite, j’observe les premiers indices de sa présence : d’abord des panneaux routiers signalant sa présence, mais aussi et surtout des traces fraîches dans le sable. Pas de doute, je suis au bon endroit. Il ne reste plus qu’à patienter et à marcher, beaucoup.

Mais je me rends vite compte que la tâche va être compliquée, entre les zones protégées interdites aux visiteurs, les zones privées barricadées et le comportement très discret de l’animal, ce n’était pas mince affaire, et mon retour commençait à approcher.

Photo : un des nombreux panneaux signalétiques que l’on peut croiser en Doñana

Si proche, et pourtant si loin

Après quelques jours d’exploration infructueux, alors que je poursuis mes balades dans les sentiers sablonneux de la Doñana, une rencontre inattendue vient relancer ma motivation.

Un couple de cavaliers en tenues locales approche tranquillement dans ma direction. En me voyant avec mon appareil photo, ils ralentissent, me saluent, et se mettent tout de suite à me parler du lynx, comme si je ne pouvais pas être là pour autre chose, finalement.

Après une petite discussion dans un espagnol un peu bancal, en ce qui me concerne du moins, la femme sort son téléphone et me montre une vidéo, prise deux jours plus tôt, d’un couple de lynx aperçu tout près d’ici. Sur la vidéo, on voit le couple de lynx marcher tranquillement à quelques mètres seulement, visiblement pas dérangé par la présence des cavaliers. Preuve irréfutable, ils sont bien là, juste dans les parages.

Autant dire que je repars avec un regain d’espoir et les yeux qui scrutent deux fois plus les alentours.

Mais malgré mes efforts, rien. Je passe encore quelques jours à parcourir la zone, à y croire, à revenir aux endroits stratégiques. Mais rien ne bouge, c’est-à-dire que le lynx a ce talent particulier de se trouver exactement où tu n’es pas.

Photos : les fameux indices de présence (traces et crottes)

Un cri marquant

Mais juste avant de devoir quitter la zone, alors que je me promène une dernière fois dans une zone proche de la réserve, un son m’arrête net : un cri puissant, un peu rauque, résonne depuis la végétation. C’est une mère qui appelle ses petits (les gardiens de la réserve me le confirmeront un peu plus tard). Ca donne littéralement des frissons d’entendre ce cri si particulier et de savoir qu’ils sont là, si près, mais inatteignables en même temps.

Je ne verrai malheureusement pas celle qui a poussé ce cri, la zone étant interdite d’accès. Mais ce moment-là, invisible mais vibrant, donne encore plus de valeur à cette quête.

C’est aussi ça qui fait tout l’intérêt de la photographie animalière. C’est parfois devoir accepter que l’animal soit plus malin, plus discret. C’est souvent repartir bredouille, mais apprendre, pour recommencer. Après tout, si j’avais vu un lynx le premier jour sans le moindre effort, ça aurait sans doute eu moins de saveur…

Photo : le genre de paysage qu’il faut parcourir en Doñana pour espérer croiser un Lynx

Un dernier espoir

Alors, un peu à contrecœur mais bien décidé à ne pas repartir bredouille, je choisis d’activer mon plan B : l’affût payant. Les zones accessibles au public étant assez limitées, certaines structures proposent des affûts payants sur des zones privées très fréquentées par les lynx. En espérant que mon argent serve (aussi) à la préservation de l’espèce.

J’ai donc réservé une journée complète dans un affût photo : 4 heures le matin, 4 heures l’après-midi. Le genre d’expérience où tu apprends que le silence, le froid et l’attente font partie intégrante du plaisir, question de point de vue…

Le matin : calme plat. Le temps passe lentement quand on fixe des cailloux qui ne bougent pas. Heureusement, quelques oiseaux et quelques lapins nerveux (et on les comprend…) sont venus égayer la séance et remplir un peu ma carte mémoire.

Après de longues heures d’attente et les premiers sentiments de déception, c’est dans les 30 dernières minutes que tout va se passer. Au loin, un lynx adulte apparait lentement et vînt se poser sur un rocher, à quelques dizaines de mètres de la zone. Alors certes, il est très loin et les conditions lumineuses commencent à se faire difficiles, mais je me dis qu’il se passe quelque chose.

Puis soudain, deux jeunes lynx font leur apparition comme par magie, à quelques mètres de moi, pour égayer ces dernières minutes d’espoir. Deux merveilles de délicatesse, de vivacité dans le mouvement, de discrétion et de curiosité. Un moment suspendu où l’on sait qu’on est exactement là où on doit être.

Alors pendant 15 minutes j’ai pris des photos, bien sûr, mais surtout j’ai observé. Leur démarche si vive et discrète en même temps, leur manière de rechercher les lapins entre les rochers, leurs interactions, tout sonnait si juste et maîtrisé.

Photos : deux jeunes Lynx m’ayant offert un beau spectacle durant 15 minutes, Doñana, 12/2024

Le bilan :
J’étais parti avec un objectif ambitieux : voir un lynx en liberté. Et même si ce fut bref et encadré, c’est bel et bien ce que j’ai vécu. Une rencontre furtive mais marquante, comme seuls les animaux sauvages savent l’offrir. Peut-être que cet apprentissage me permettra d’avoir un jour l’occasion d’en croiser un de manière un peu plus « spontanée ».

Et puis au-delà de la photo finale, c’est le voyage, l’attente, les frustrations et les surprises, qui font toute la richesse de ce genre d’aventure.

A venir

BLANC COMME NEIGE

De 2020 à 2022, j’ai travaillé dans les Alpes
sur 2 « espèces blanches » :
le Lagopède Alpin et le Lièvre Variable,
des animaux mystérieux aux adaptations étonnantes.
Je vous raconte bientôt cette expérience fascinante.

BRÉSIL 2025

En mai prochain, j’ai l’occasion de voyager au Brésil. L’occasion pour moi de partir à la découverte de nombreuses nouvelles espèces et de revenir avec de
jolies photos à partager.

Contactez-moi

Vous avez envie d’échanger autour de notre passion commune ?
Ou simplement une question à me poser ?

Retour en haut